vendredi 29 février 2008

Chapitre premier : « Qui êtes-vous, Monsieur Nietzsche ? »

Le nietzschéisme demeure incompréhensible si l’on ignore qui fut Nietzsche lui-même. Penseur allemand, né en 1844 dans la petite ville de Röcken, Nietzsche obtint très jeune un poste de professeur de philologie à l’université de Bâle. En 1872, il publie son premier ouvrage : La naissance de la tragédie. Prenant à rebours la conception dominante de l’antiquité grecque, l’auteur s’attire l’inimitié du milieu universitaire. Malade chronique, il obtiendra, quelques années plus tard, une maigre pension lui permettant de se dispenser d’enseignement et de voyager à travers le sud de l’Europe, en quête d’un climat favorable à sa santé. Vagabondant entre la Suisse, l’Italie et la Provence, Nietzsche enchaîne les livres à un rythme soutenu : Le gai savoir (1883), Ainsi parlait Zarathoustra (1885), Par-delà le bien et le mal (1886), La généalogie de la morale (1887), Le crépuscule des idoles (1888), L’Antéchrist (1888), etc. La mort le surprendra en 1900.

Loin des cercles intellectuels, Nietzsche n’écrit pas pour les philosophes de métier ou les professeurs de philosophie et la forme de ses ouvrages s’en ressent. Ceux-ci n’ont rien à voir avec les écrits philosophiques traditionnels. On n’y trouve aucune chaîne d’arguments et peu de raisonnements systématiques. Saccadée, l’écriture nietzschéenne est brève et dense ; elle jaillit sous forme d’aphorismes : des pensées de quelques lignes, plus suggestives que démonstratives, plus provocantes qu’éclairantes. Certaines sont stimulantes: «Les hommes se pressent vers la lumière, non pas pour mieux voir, mais pour mieux briller – Celui devant qui on brille, on le prend volontiers pour lumière» ; d’autres, plus énigmatiques : «Maturité de l’homme : cela signifie avoir retrouvé le sérieux que l’on mettait dans ses jeux, enfant.»
Ainsi, l’œuvre de Nietzsche vibre, loin des conformismes universitaires et par-delà la complaisance de la pensée. En son contenu, elle coïncide avec la remise en cause des certitudes les plus fondamentales. D’abord, aux philosophes eux-mêmes, c’est-à-dire aux savants en général, elle oppose une pensée soupçonneuse de tous les dogmes établis. Ensuite, aux détracteurs de la philosophie, qui ne voient en elle qu’une pitrerie d’école, un numéro de cirque à base de concepts ou une rhétorique inutile, Nietzsche répond de manière salutaire : la philosophie a une mission pratique, elle est intégralement tournée vers l’existence quotidienne et celui qui ne philosophe pas ne peut pas vivre. Concrètement, la philosophie est une thérapeutique pour un monde malade et affaibli. Or, quelle est cette maladie qui ronge les hommes ? Nietzsche répond d’un mot : le christianisme.
Si l’attaque porte nommément contre une religion – celle que Nietzsche côtoie dans l’Europe où il vit – nous verrons qu’elle n’est que la forme insidieuse d’une maladie aux nombreux avatars : citons ici la philosophie depuis Socrate, les religions en leur ensemble (Bouddhisme, Judaïsme, Islam, etc.) et même la science (du moins jusqu’à l’avènement de la physique quantique au début 20ème siècle). Le poison chrétien apparaît surtout comme le symptôme de ce que Nietzsche appelle l’«idéal ascétique» et que prêchent les «prêtres ascétiques». Cet idéal se manifeste en premier lieu à travers une morale, la nôtre – la morale chrétienne –, c’est-à-dire un ensemble de valeurs qui guide les conduites, oriente les esprits et formate les individus. Le remède consiste en un renversement généralisé de ces valeurs ; pour cela, il faut interroger le christianisme comme on interroge un patient. La question-clé qui va nous servir de guide sera la suivante : « Quelle est la valeur des valeurs chrétiennes ?».

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