vendredi 4 avril 2008

Chapitre vingt-et-unième : « L’individu »

L’idée selon laquelle l’individu doit créer ses propres valeurs est double. Elle signifie d’abord que l’homme n’est plus asservi à un système de valeurs préétablies, au demeurant faibles et éprouvées, de telle sorte qu’elles s’imposent à lui sans réflexion: créer signifie introduire de la nouveauté. Mais, ensuite, créer ses propres valeurs indique la tâche qui incombe en propre à l’individu. Alors que l’idéal ascétique applique indistinctement les mêmes valeurs à tous les individus, l’individu émancipé se doit de créer celles qui s’appliqueront à lui et à lui seul. À cet égard, l’Église, l’État ou tout autre forme de congrégation s’annoncent toujours comme des manières d’enfermer l’individu, c’est-à-dire de lui imposer une certaine conduite, qu’il n’a pas choisie et qui le formate à son insu.

jeudi 3 avril 2008

Chapitre vingtième : « L’éternel retour du même »

Face à la mort, Nietzsche nous pose la question suivante: «Quelle dose de vérité pouvons-nous supporter ?» Ce genre d’interrogation met justement l’accent sur l’importance de la maladie dans la pensée nietzschéenne. En effet, assumer la vie sans fard et sans illusions revient à se débarrasser du carcan des vieilles tutelles. L’éternité n’est promise à personne, puisque la volonté de puissance appelle la mort de l’individu comme sacrifice à sa puissance. La vie se résume à un don passager, mais un don qu’il nous revient d’exprimer et de décliner individuellement. Or, nombreux seront ceux pour qui une telle vérité s’avère insupportable. La dose délivrée peut alors s’avérer létale. D’aucuns auront certainement besoin des consolations de la religion, des mythes et des fables qu’elle substitue à l’affrontement cruel de l’existence, car ce que Nietzsche réfute, ce n’est pas la substance de l’idéal ascétique, mais sa position dans l’absolu. Qu’un corps malade s’affaiblisse n’autorise pas à engager la vie elle-même dans cette voie.

mercredi 2 avril 2008

Chapitre dix-neuvième : « La mort »

Le christianisme vit sur un fond de haine à l’endroit de la vie et de tout ce qui l’affirme. Le souci d’une vie éternelle, l’espoir d’une rédemption par la grâce n’est donc en rien le signe d’un amour de la vie, puisque la vie éternelle présente justement les caractéristiques d’une vie que l’on pourrait aimer. Il s’agit d’une vie dépouillée de toutes ses caractéristiques fondamentales, dépourvue d’affects et de passion, calme et modérée; en somme, une vie faible et décadente, c’est-à-dire essoufflée et destinée aux moribonds. Pire, il s’agit d’une vie éternelle, c’est-à-dire sans fin, débarrassée de la mort. La méprise de l’idéal ascétique au sujet de la vie est si grande qu'il va jusqu’à nier la mort elle-même. L’effroi que suscite la vie lui fait donc préférer son exact opposé. Le monde idéal de l’ascétisme est proprement un monde renversé, un système de contre-valeurs, une négation partes extra partes de la vie, car nier la vie implique de nier la mort.

mardi 1 avril 2008

Chapitre dix-huitième : « Une religion de la haine »

Le prêtre ascétique, sous l’espèce de l’homme du ressentiment, abhorre la vie en son essence. Sa bonté n’est qu’un résidus de la haine qui alimente son esprit. La perversion du christianisme, que Nietzsche entend décrypter, se formule comme suit: comment faire passer de la haine pour de l’amour? Auparavant, remarquons que la principale réticence que nous éprouvons vis-à-vis d’une critique de l’idéal ascétique, et de sa figure chrétienne, s’articule à partir de sa prétention fondatrice: le christianisme n’est-il pas, de fait, une religion d’amour, voire d’amour universel (de kat’holon, qui a donné «catholique») ?

lundi 31 mars 2008

Chapitre dix-septième : « L’homme du ressentiment »

L’état des lieux que dresse le nietzschéisme nous met face à des renversements proprement incroyables concernant la nature des valeurs ascétiques, notamment la morale chrétienne. Nous nous apercevons en effet que les valeurs morales, censées posséder une valeur intrinsèque, ne sont qu’une évaluation de la vie. Nietzsche le dit clairement: «J’appelle «morale» un système de jugements de valeur qui est en relation avec les conditions d’existence d’un être» (Volonté de puissance, T.1, liv. II, § 136).