mercredi 12 mars 2008

Chapitre onzième : « La culpabilité »

La raison, argument massue de l’idéal ascétique, ne possède d’autre fonction que d’assurer l’instabilité de l’être humain. Pascal, dans les Pensées, ne dit rien d’autre lorsqu’il considère que l’homme se comporte tel un animal voué à la fange, alors qu’il possède en lui de quoi se redresser. L’intelligence se donne en effet comme la marque du divin en l’homme et le signe d’une glorieuse origine : par la raison, l’homme est capable de renoncer à lui-même. Kant ira même jusqu’à soutenir que, par la raison, l’homme est libre. Or, toute liberté se paie et la raison n’échoit pas à l’homme dans le seul but de vanter sa dignité. Si l’homme est raisonnable, sa sagesse est folie en comparaison de celle de Dieu (Paul, Épître aux Corinthiens). Face à l’infini, l’homme est l'éternel inaccompli, non que Dieu l’ait créé imparfait, mais qu’il s’est lui-même déchu. Cependant, l’homme peut-il vraiment se racheter aux yeux de Dieu ?

Pour l’idéal ascétique, les hommes vivent bel et bien, c’est-à-dire qu’ils se montrent égoïstes et toujours portés au désir charnel. Rien ne semble susceptible de les changer. Face à cette impossibilité, l’idéal ascétique s’est engagé dans la voie de la culpabilité. Comme il s’avère illusoire de songer à rendre l’homme autre qu’il n’est, on a décidé de lui inculquer le remords, le regret et le repentir. On l’a dressé pour qu’il intègre le sens de la faute. Aussi, l’homme n’a-t-il jamais cessé de se comporter comme il le faisait, cherchant son profit et son bonheur, souvent aux dépens des autres. Or, par le truchement de l’idéal ascétique, l’homme en est venu à intégrer le mode de vie ascétique comme valeur de référence. Alors qu’il se livre au désir, qu’il assouvit ses penchants naturels, l’homme se mortifie et se blâme intérieurement. Pourquoi désire-t-il ? Quel démon l’habite ? Pourquoi n’est-il pas plus sage, plus prudent, plus patient ? L’homme en vient à se haïr et cette haine grandit d’autant plus qu’il s’aperçoit qu’il ne parvient pas à changer, à évoluer, à se faire ascète. Le prêtre ascétique infecte donc les esprits, leur inculque la conscience morale, de telle sorte que chaque homme qui assume l’existence, pleinement et entièrement, en vient toujours à s’exhorter intérieurement : «Pourquoi suis-je comme je suis ? Quel malheur s’est abattu sur moi ? Pourquoi ne suis-je pas un prêtre ascétique ? Pourquoi ne parviens-je pas à éteindre la flamme du désir? Je suis coupable, coupable de mes pulsions, coupable de mes désirs, coupable d’être un homme !»

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