dimanche 2 mars 2008

Chapitre troisième: « La valeur des valeurs (1) »

Depuis les découvertes de Darwin et la mise en lumière de la notion d’évolution, il n’est plus possible de considérer que les choses n’ont pas d’origine. Cela vaut pour les valeurs morales. Mais, la question «Que valent nos valeurs ?» prend rapidement l’allure d’un abîme, puisqu’il s’agit d’exhausser l’origine de la morale. Cependant, point n’est besoin de remonter à la nuit des temps; il suffit de se livrer à une archéo-logie de la morale. Cela signifie qu’il faut retrouver le principe (archè) des valeurs morales. De la même façon que les archéologues fouillent le sol et grattent la terre pour exhumer les vestiges d’anciennes civilisations, il va nous falloir chercher sous les valeurs elles-mêmes la raison de leur existence.

Commençons par remarquer que la morale tourne autour de deux valeurs fondamentales : le bien et le mal. Nous jugeons bonnes certaines actions et d’autres mauvaises ; les premières sont louées, les secondes blâmées et elles donnent lieu au remords et à la culpabilité : «Pourquoi me suis-je mal comporté ?», demandons-nous in petto. Or, il nous faut abandonner ce point de vue, qui fait du bien et du mal des critères d’évaluation, afin de trouver le critère caché, qui nous permet de penser que bien et mal sont des valeurs. Ne demandons plus : «Quelles sont les actions bonnes ou mauvaises ?», mais «Pourquoi nommons-nous bonnes certaines actions et mauvaises d’autres ?».
Illustrons cette démarche par un exemple concret : si je prends des mesures avec un mètre, je puis affirmer que je mesure 1m75. Le mètre est le critère, l’étalon, la valeur de référence dont je me sers. Cependant, si je demande combien mesure un mètre, ou pourquoi un mètre mesure un mètre, je ne peux plus m’aider de mon mètre étalon. Je suis obligé de me demander : «Comment en est-on venu à dire qu’un mètre mesure un mètre ?» ; «Suivant quel critère a-t-on décrété qu’un mètre mesurait un mètre ?».
En ce qui concerne les mesures, l’accord est de pure convention. Un mètre pourrait tout aussi bien mesurer 1m10, de la même façon qu’un yard ne vaut pas un mètre. Mais, en ce qui concerne les valeurs morales, il en va tout autrement. Il ne s’agit pas d’une pure convention entre les hommes, mais d’un choix opéré par certains et que l’on a tenté d’imposer à tous. Ce choix ne s’est pas opéré suivant les valeurs morales, puisqu’il visait à les établir. On n’a donc pas reconnu, par exemple, les actions non égoïstes pour bonnes parce qu’elles étaient conformes au bien. On a plutôt dites bonnes les actions non égoïstes, parce qu’elles correspondaient à une certaine évaluation de la vie. Le critère que nous cherchons est donc la vie ou, mieux, un certain rapport à la vie (à charge pour nous d'éclairer cette affirmation; cf. chapitres suivants).
Les valeurs morales ne sont donc pas les étalons éternels qui nous permettent de juger objectivement nos conduites, elles ne sont que des points de vue sur la vie, c’est-à-dire des manières de nous imposer un certain rapport à la vie. Nous allons le voir, ce rapport est un rapport de haine et de rejet. Mais, pour comprendre cela, demandons-nous ce qu’il faut entendre par le concept de «vie» et tournons-nous vers Schopenhauer, qui a fortement inspiré Nietzsche sur ce point.

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